Railt a écrit:thedarkdreamer a écrit:Railt a écrit:L'oeuvre de chair doit elle être considérée comme une oeuvre de l'esprit ?
Bref, les films de cul seront-ils aussi protégés ?
Au delà du jeu de mots, la question juridique mérite d'être posée : répondre que ces vidéos seraient protégées reviendrait à accepter le caractère moral de la vente de faveurs sexuelles, et donc à accepter la réification du corps humain. A mon sens, ce genre de films ne peut être objet que de dons au nom de la dignité de la personne humaine.
Pour aller plus loin, il me semble juste d'affirmer que la soustraction frauduleuse d'un dvd pornographique ne saurait être qualifiée de vol, la chose étant hors commerce.
Telle n'était pas l'opinion de Denis Mazeaud quand je l'avais interrogé sur la question (à savoir, la réification du corps humain portée par le contrat de l'acteur de film pornographique).
Sa réponse, qui date de quelques années, s'appuyait sur l'idée qu'un tel contrat pouvait au moins partiellement s'analyser en un contrat de travail, et non en un contrat de vente.
Il me semble, sauf son respect, qu'il élude la question fondamentale. La question éthique ne dépend pas de la qualification du contrat, mais au contraire la possible qualification du contrat dépend de la question morale qui lui est préliminaire. Bref, sa réponse était celle d'un positiviste de bas étage et n'était, selon moi, qu'une pirouette dont nous ne saurions être la dupe.
Ah, un peu de débat doctrinal, c'est que je me rouillais, moi.
Pas d'accord avec toi. L'éthique c'est un joli mot, mais je n'ai jamais lu une description convaincante qui distinguerait l'éthique de la morale. Bref, l'éthique, c'est la morale (ou alors démontre-moi le contraire). Et ce n'est pas à toi que je vais apprendre que le droit n'est pas la morale.
Autrement dit, ce n'est pas à une interrogation morale de déterminer la qualification d'un contrat. Si s'appuyer sur le droit et non sur la morale pour raisonner, c'est être un positiviste, alors j'assume. Ca ne veut pas dire que je crois que le droit tombe du ciel, ou ne signifierait rien d'autre que lui-même. Mais qu'un raisonnement moral ne saurait se substituer à un raisonnement juridique.
Tu dis que le contrat de l'actrice porno est un contrat qui réifie le corps humain. Réifier, ça signifierait transformer en chose. Au sens juridique, on distingue la chose, objet de droit, et la personne, sujet de droit. La vente d'un film porno transforme-t-elle en chose le corps de l'actrice porno? Pas davantage que la vente de "37,2 le matin" ne transforme le corps de Béatrice Dalle en chose. Ce qui est vendu est une oeuvre cinématographique, objet de droit, pas le corps de l'actrice.
Le contrat de l'actrice porno se résume-t-il à la vente de prestations sexuelles? D'abord, tout juriste s'en rendra compte, le terme de "vente" est impropre à qualifier un tel contrat. En effet, le contrat de vente ne peut porter que sur une chose, précisément (Art 1598 Cciv). Or ce contre quoi l'actrice porno reçoit rémunération n'est pas une chose: on est en présence d'une prestation de service, voire d'un travail(ça suivrait le régime du cinéma traditionnel, où c'est un type particulier de contrat de travail qui lie les acteurs à la société de production, voir par exemple ici)
Il n'y a donc pas vente, mais contrat d'enjeanrise a minima, voire contrat de travail (je ne connais pas les pratiques du secteur, mais ça me semble être l'hypothèse la plus probable). Il faut d'ailleurs préciser que si quelque partie de son corps était effectivement vendue par l'actrice de manière annexe, un tel contrat pourrait être annulé (Par ex: convention de tatouage et de détatouage d'une tour eiffel entourée d'une rose sur une fesse de l'actrice jugée nulle par TGI, Paris, 3 juin 1969(sic), D1970.136)
Ce contrat de travail, ou d'enjeanrise, qui porte sur des faveurs sexuelles a-t-il une valeur juridique? Certains affirment que "le droit civil déclare illicite les conventions de prostitution ou qui lui ressemblent" (MALAURIE; "Les personnes Les incapacités", Defrénois, 2003 n°293) Soyons clairs, la question n'est pas tranchée. Si à travers la notion de bonne moeurs, le droit a pu se faire le porte drapeau d'une certaine morale sexuelle, on ne peut que constater le déclin de la notion de bonnes moeurs prises dans cette acception (voir par exemple l'article de Fenouillet dans les mélanges Catala, 2001). Dans son manuel de droit des obligations, Alain Bénabent s'interroge "un contrat relatif à des photos érotiques serait-il encore nul?". Ce qui compte ici est le "encore", qui indique bien que la notion de bonnes moeurs est une notion cadre évolutive dont se sert le juge. Et que parallèlement à leur désuétude, le carcan des bonnes moeurs se fait aujourd'hui plus lâche. Je crois me souvenir qu'un bon argumentaire en faveur de la validité peut être trouvé dans la note critique du professeur Puech sur l'annulation par un tribunal d'une convention de strip-tease avec nu intégral (TGI Paris, 8 nov 1973; D 1975.401).
Au delà de cette question, plus précisément, un contrat d'actrice pronographique s'analyse-t-elle purement et simplement en convention de prostitution? Il me semble au contraire que ce ne sont pas les faveurs sexuelles qui sont l'objet du contrat mais une prestation destinée à être fixée sur un support cinématographique destinée à la commercialisation au titre d'oeuvre cinématographique.
En conséquence, il me semble que la convention qui lie l'actrice à la société de production n'est pas un contrat de vente, mais un contrat de prestation de service, voire un contrat de travail. Que cette convention n'a pas pour effet de réifier au sens juridique le corps de l'acteur ou de l'actrice pronographique. Par conséquent, la réalisation et le produit de cette réalisation, à savoir l'oeuvre mise à la disposition du public ne sauraient s'analyser comme soumis au même régime que le corps humain et ses produits.
Comme tu le vois, la "question morale" n'empêche pas d'envisager la question sous l'angle du droit, et de conclure que les films pornographiques ne sont pas des choses hors du commerce au sens de l'article 1598 du code civil.